Annie Ernaux, le cancer
Radiographie de l'amour
par Marianne Payot -L'Express-
Mêlant photographies et commentaires à deux voix, Annie Ernaux et Marc Marie nous content leur corps-à-corps contre la mort
Encore une fois, Annie Ernaux nous étonne, nous bouscule. Encore une fois, avec une merveilleuse impudeur, jamais vulgaire, toujours littéraire, elle nous raconte l'intime. Après la passion, la jalousie, la honte, l'avortement, l'Alzheimer, voici le ménage à trois: la femme, l'homme et la mort. «Tu n'as eu un cancer que pour l'écrire», lui susurre M. (Marc Marie), le compagnon. «Je n'attends pas de la vie qu'elle m'apporte des sujets mais des organisations inconnues d'écriture», lui réplique A. (Annie).
«La trace objective de leur jouissance»
Au départ de cette année 2003, pleine, explosive, il y a un dîner entre un homme malheureux, qui vient de larguer les amarres, et une femme déterminée, qui se débat avec son cancer du sein. Sans ambages, elle lui dit tout: la chimio, la perruque, le cathéter, l'opération à venir... Le soir même, ils feront l'amour. Bientôt vient à A. l'idée saugrenue de photographier «la trace objective de leur jouissance», tous ces vêtements épars que les amants laissent choir dans la frénésie du désir. «Saisir l'irréalité du sexe», capter l'amour, arrêter le temps.
Très vite, bien sûr, l'écriture s'en mêle. Le propos est séduisant: choisir quatorze de ces clichés et les commenter, librement, chacun de son côté. Et le résultat, passionnant: les voix se répondent, celle de la femme, étrangement gaie, devançant celle de l'homme, extrêmement douce. «Tu n'es pas une cancéreuse sérieuse», lui confie, admiratif, M. Pourtant, A. ne le cache pas, son «corps est le théâtre d'opérations violentes». Mais, sublimée par l'amour de Marc, portée par son projet photographique, transcendée par les mots - «L'écriture est suspension de toute sensation pour moi» - Annie vit l'année 2003 «au-dessus du cancer».
7 janvier 2004: la dernière photo, trop esthétique, a perdu de son innocence. Le sens fait défaut. Le jeu est terminé, la mort est suspendue, le temps peut reprendre son vol.
Seuls l'amour et l'écriture demeurent.
Les deux moteurs de vie de Mme Ernaux.
par Marianne Payot -L'Express-
Mêlant photographies et commentaires à deux voix, Annie Ernaux et Marc Marie nous content leur corps-à-corps contre la mort
Encore une fois, Annie Ernaux nous étonne, nous bouscule. Encore une fois, avec une merveilleuse impudeur, jamais vulgaire, toujours littéraire, elle nous raconte l'intime. Après la passion, la jalousie, la honte, l'avortement, l'Alzheimer, voici le ménage à trois: la femme, l'homme et la mort. «Tu n'as eu un cancer que pour l'écrire», lui susurre M. (Marc Marie), le compagnon. «Je n'attends pas de la vie qu'elle m'apporte des sujets mais des organisations inconnues d'écriture», lui réplique A. (Annie).
«La trace objective de leur jouissance»
Au départ de cette année 2003, pleine, explosive, il y a un dîner entre un homme malheureux, qui vient de larguer les amarres, et une femme déterminée, qui se débat avec son cancer du sein. Sans ambages, elle lui dit tout: la chimio, la perruque, le cathéter, l'opération à venir... Le soir même, ils feront l'amour. Bientôt vient à A. l'idée saugrenue de photographier «la trace objective de leur jouissance», tous ces vêtements épars que les amants laissent choir dans la frénésie du désir. «Saisir l'irréalité du sexe», capter l'amour, arrêter le temps.
Très vite, bien sûr, l'écriture s'en mêle. Le propos est séduisant: choisir quatorze de ces clichés et les commenter, librement, chacun de son côté. Et le résultat, passionnant: les voix se répondent, celle de la femme, étrangement gaie, devançant celle de l'homme, extrêmement douce. «Tu n'es pas une cancéreuse sérieuse», lui confie, admiratif, M. Pourtant, A. ne le cache pas, son «corps est le théâtre d'opérations violentes». Mais, sublimée par l'amour de Marc, portée par son projet photographique, transcendée par les mots - «L'écriture est suspension de toute sensation pour moi» - Annie vit l'année 2003 «au-dessus du cancer».
7 janvier 2004: la dernière photo, trop esthétique, a perdu de son innocence. Le sens fait défaut. Le jeu est terminé, la mort est suspendue, le temps peut reprendre son vol.
Seuls l'amour et l'écriture demeurent.
Les deux moteurs de vie de Mme Ernaux.
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