Sunday, January 28, 2007

Comme le murmure d'un ruisseau



L’histoire est presque banale : Paul, médecin psychiatre, homme mûr et solitaire, retourne dans le hameau de son enfance en Haute-Savoie pour y vendre la ferme familiale.
Cela fait un bon quart de siècle qu’il a quitté les lieux. De sa jeunesse dans ces montagnes, il garde, lumière et blessure à la fois, le souvenir récurrent d’un amour, Claire, retrouvée morte assassinée près d’un torrent. Elle avait 17 ans, le même âge que lui. Le chalet des parents de Claire est à vendre. Sans prendre le temps d’y réfléchir, Paul décide de le racheter, de revenir sur les lieux de son premier amour qui sont aussi les lieux d’un crime jamais élucidé.
Sur cette trame romanesque où se tissent et se détissent les fils croisés de la mémoire, François Gantheret construit un roman d’une rare finesse. Sans jamais tirer sur le sensationnel – le meurtre de la jeune fille, la débilité d’un des habitants du hameau, l’inceste consommé depuis des lustres entre ce vieux garçon sauvage et sa sœur – François Gantheret nous conduit dans les méandres d’un récit où les hommes et la nature jouent ensemble leur destinée. Et même si la géographie n’est pas la même, même si cette Haute-Savoie est plus noire, plus froide que les Alpes-de-Haute-Provence, on pense souvent à Giono. Car ici, comme dans Colline ou Regain, la nature est à part entière un personnage. Elle est celle qui fait éclore les premières amours et les premières fleurs, celle qui pousse au crime, qui envoûte, ensorcelle, apaise. Celle qui, toujours vierge, porte en son sein, invisibles et inoubliables, les traces des malheurs et des jours. L’éternité est là dans le silence glacé d’un matin ordinaire, le « staccato de mitraillette » d’un pic « coiffé de noir et de rouge », le chant et le vol des oiseaux, le murmure d’un ruisseau, la glissade suave d’une martre...
Les souvenirs sont de belles endormies que réveillent des images, des odeurs, des formes, des sons. Sans doute François Gantheret a-t-il puisé dans sa propre mémoire, pour ressusciter avec tant de vérité et de mélancolie les visages et les paysages revisités par son personnage. Le psychanalyste auteur de nombreux essais, le romancier des Corps perdus, le commentateur admiratif de Cézanne (Petite Route du Tholonet) se profilent dans ces pages où l’exploration du passé, la quête du temps perdu, le mensonge du temps retrouvé et un certain art pictural cohabitent en toute harmonie. La vie, la mort, le drame, la marginalité sociale, le silence complice, la solitude sont là, au creux d’une écriture dont la délicate beauté évoque les transparences lumineuses et la grâce délavée des aquarelles.

Comme le murmure d’un ruisseau de François Gantheret Ed. Gallimard, 160 p.

Michèle Gazier

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