Monday, February 05, 2007

Cria Cuervos-Carlos Saura-1975




Como cada noche desperté
Pensando en ti
Y en mi reloj todas las horas vi pasar
Porque te vas

Todas las promesas de mi amor se iran contigo
Me olvidaras
Me olvidaras


Le film se termine, encore la chanson de Jeanette, trois fois en tout, le plafond s'illumine, on quitte Madrid, c'est la rentrée des classes et la vie d'Ana va continuer aux côtés des vivants.


Ana se souvient de son enfance en compagnie de la mort. La mort de son père, dans les bras d'une maîtresse. Celle de sa mère, dans d'atroces souffrances, malade de n'avoir pas été aimée. Celle de Roni, le cochon d'Inde qu'elle a enterré au fond du jardin. La mort, omniprésente dans la vie et les fantasmes d'une gamine de huit ans qui a songé en faire cadeau à sa grand-mère pour la délivrer du poids de ses souvenirs. La mort qu'elle a cru infliger à sa tante Paulina, qui n'a jamais su remplacer la maman disparue, en versant dans son verre un poison qui n'était que du bicarbonate.

Dans l’Espagne des années cinquante, trois petites filles de la bourgeoisie madrilène, Irène, Maïté et Ana sont recueillies, à la mort de leur père par leur tante Amélie, la sœur de leur mère , décédée quelques années auparavant. Amélie prend en charge leur éducation, aidée par Rosa, gouvernante de la famille. Enfant taciturne, insomniaque et douée d’une imagination féconde, Ana est persuadée qu’elle possède un pouvoir maléfique au point de se croire responsable de la mort de son père.

Elle se refuse à accepter la disparition de sa mère dont elle fait resurgir le souvenir en l’intégrant à sa vie présente. En même temps, elle se réfugie dans un attachement nostalgique au passé, se remémorant certains événements marquants de la vie familiale. Sans aucune idéalisation de l’univers enfantin, Cría Cuervos met en images la perception terrifiante qu’a du monde adulte une enfant habitée d’obsessions morbides. Construit selon une organisation temporelle savante, le film mêle présent, passé et futur, à travers le personnage d’Ana adulte, la véritable narratrice du film.

Ce film est une tentative de transcription rationnelle du processus mental de fabrication du souvenir. La structure temporelle complexe fonde également le discours critique que formule le réalisateur sur la société espagnole. Violent réquisitoire contre les familles de la bourgeoisie espagnole franquiste et post-franquiste, Cría Cuervos fait de ce microcosme symbolique qu’est la cellule familiale l’incarnation métaphorique de la nation espagnole. À l’instar de cette famille qui vit encore sous la loi d’un père disparu à travers la figure tutélaire de la tante Amélie, l’Espagne franquiste est, aux yeux de Saura, une société patriarcale qui reste figée, encore fondée sur la triple alliance de l’armée, de l’Église et de la bourgeoisie, et qui, malgré la mort du dictateur Franco en 1975, résiste à l’ouverture et à la modernisation.

Depuis l'avènement, en 1939, du général Franco à la tête de l'État, le cinéma ibérique a vécu sous la tutelle d'une censure au service de la propagande gouvernementale selon laquelle un bon Espagnol est « moitié moine, moitié soldat». Les censeurs encouragerent donc la production de films dont les héros, religieux ou militaires, sont les garants de la morale et de l'ordre, et interdirent tout projet un tant soit peu sceptique à l'égard du pouvoir. Dans le désert artistique d'un cinéma voué aux mélodrames édifiants et aux comédies musicales, deux cinéastes, L. G. Berlanga avec Bienvenue Mr. Marshall (1952) et J. A. Bardem avec Mort d'un cycliste (1955), ont tenté de créer un espace à la liberté d'expression. S'ils n'y sont pas immédiatement parvenus, ils ont néanmoins ouvert la voie à Carlos Saura (né en 1932) dont les films, dès le début des années 1960, déclineront, sous couvert de scénarios allégoriques ou symboliques, une critique virulente des fondements religieux, moraux et éthiques du régime franquiste. Dans son style si personnel , celui d'un réalisme onirique qui mêle étroitement le passé et le présent, le rêve et la réalité le cinéaste aborde les problèmes des couples désunis, de la condition féminine, de la frustration sexuelle, des traumatismes infligés aux enfants par la religion et ses interdits.

Origine du titre:
Cria cuervos sont les deux premiers mots du proverbe espagnol : « Nourrissez les corbeaux et ils vous crèveront les yeux»

Récompense:
Le film a obtenu le prix spécial du jury à Cannes en 1976.

cinépassion

2 Comments:

Anonymous Anonymous said...

ce film me rappelle bien des souvenirs…

5/2/07 6:36 PM  
Anonymous Anonymous said...

je suis contente que ce post te plaise et que les souvenirs remontent à la surface...

mm

5/2/07 8:39 PM  

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