Friday, February 09, 2007

Ceci n'est pas une pipe


Google en mission pour l’Amérique

La Toile a déjà ses vaches sacrées. Wikipédia et Google sont les plus distinguées. Dès qu’on touche à un poil de l’une de ces toutes puissantes génisses, la communauté virtuelle se met aussitôt en branle et forme le carré pour les protéger. J’en ai récemment fait l’expérience avec l’affaire Wikipédia. Vade retro, Satanas ! Pourrait-on parler calmement de Google ? On peut -et si l’on ne peut pas, on se passera de l’autorisation. Deux livres nous y invitent. L’essai de Daniel Ichbiah Comment Google mangera le monde (258 pages, L’Archipel) appelle peu de commentaires : en dépit de son titre polémique, il s’agit en fait d’un récit, assez complet et objectif, de la jeune aventure de l’entreprise. Cela restera un livre de référence sur la question jusqu’au prochain qui aura l’avantage d’être actualisé. Ce n’est pas le cas de celui de Barbara Cassin Google-moi. La deuxième mission de l’Amérique (259 pages, 16,90 euros, Albin Michel). Celui-là pose problème car il pose des problèmes. Les technophiles auraient tort de le traiter par le mépris, comme ils le font souvent lorsque des intellectuels tentent de mettre la chose face à ses contradictions, comme le fait Cassin en ouvrant des pistes. Le moteur de recherche nous est devenu indispensable : est-ce une raison pour le subir béatement sans le critiquer ? On n’en attendait pas moins de cette brillante philologue et philosophe (CNRS) qui fut il y a trois ans le maître d’oeuvre d’un exceptionnel Vocabulaire européen des philosophies.

Cette fois, son propos est volontairement pamphlétaire et son enjeu avoué (la dimension culturelle de la démocratie) est si vaste qu’on se demande même si le sujet affiché n’est pas qu’un prétexte. En tout cas, ce qu’il dit de la culture américaine le situe clairement aux antipodes de l’enquête foisonnante de Frédéric Martel. Toute l’analyse de Barbara Cassin repose sur le patient décortiquage des deux phrases qui tiennent lieu d’éthique aux deux fondateurs du moteur de recherche :“Organiser toute l’information du monde pour la rendre accessible et utile à tous” et “Ne sois pas mauvais“. Un “organisation” préférée à un “système”, choix qu’elle s’empresse de dénoncer à la suite de ce qu’avait pointé autrefois Victor Klemperer dans le langage bureaucratique nazi. On sait que son algorithme secret, dont l’université de Stanford détient la licence exclusive jusqu’en 2011, permet à Google de mieux organiser les résultats de la recherche par un meilleur classement des réponses pertinentes. On sait également que les 8 milliards de pages que le moteur se flatte de recenser ne sont pas pour autant indexées et que près de la moitié sont des adresses vides de contenu. Que peut donc apporter une philosophe au débat ? Un point de vue, un regard, une réflexion là où l’on ne parle jamais que performances. Elle revient sur l’absence de publicité sur la page d’accueil : Google y est seul, ce qui est l’acmé de la pub, ars celare artem ou l’art de cacher l’art, vieille ficelle rhétorique. Elle rappelle que c’est dans Finnegan’s Wake que le mot “google” apparaît pour la première fois (”…feastking of shellies by googling Lovvey…”), James Joyce signifiant par là quelque chose comme “zyeuter”, il suffit d’aller faire un tour sur le Finnegans Web pour s’en convaincre. Après seulement, à mi-parcours, elle aborde le coeur du sujet. A savoir que pour elle, Google et Bush ont partie liée dans leur but commun, leur mission de l’Amérique, étant entendu que l’on se méfie moins du premier qui est le plus sympathique des deux. Elle dégage cinq points communs :

“1. Promouvoir la démocratie . 2. Mener la guerre du bien contre le mal. 3. Viser l’universel. 4. Se donner les moyens sur le long terme. 5. Prendre en compte le monde éclaté”

Mais est-ce bien suffisant pour faire de Google le nouveau cheval de Troie de l’hyperpuissance au déclin annoncé ? On trouvera une ébauche de réponse dans une longue et précieuse étude qui vient de paraître dans le New Yorker sur son ambition de “bibliothèque universelle”. Barbara Cassin, quant à elle, reprend tous les mots à la racine, systématiquement. Elle les saisit par leur étymologie comme on saisit une bête à la gorge. C’est bien le moins avec une société qui se flatte de refuser la publicité mais tire ses revenus de… la publicité sous une autre forme, autrement dit des liens, des mentions marginales, ces fameux ads qui ne sont rien d’autre que du commerce de mots, justement. Mais il en faut davantage pour prouver qu’en devenant une société cotée en bourse, Google a vendu son âme au diable : elle aurait perdu la “pureté” de son esprit originel et, partant, ne serait plus capable de garantir l’impartialité de son information. De toute façon, Google se dégage de toute garantie et de toute responsabilité s’agissant de la fiabilité, de la précision ou la légitimité des informations qu’elle transporte. Soit, mais encore ? On regrette que Barbara Cassin n’aille pas plus loin, ne soit pas plus radicale dans sa critique. Vers la fin du livre, on retrouve la philosophpe/philologue dans des pages assez convaincantes sur la langue unique de Google. Le fameux “Traduire cette page” dans lequel elle voit la meilleure pierre de touche. Barbara Cassin s’est livrée à une expérience. Elle a entré dans “Google, outils linguistiques” la fameuse phrase “Et Dieu créa l’homme à son image”, l’a demandée en anglais, puis en français, puis en anglais jusqu’à obtenir une traduction stabilisée. Ce qui a donné à la fin :”Et Dieu a crée l’homme avec son image”. Puis ella procédé pareillement avec l’allemand. A la sixième traduction aller-retour, ça donnait :”Et l’homme à son image a crée un dieu”.

Sans employer le mot, Barbara Cassin reproche surtout à Google de baiser le consommateur. Son hypocrisie ? Missionnaire de l’information libre et gratuite, la société ne veut pas reconnaitre que cette mission consiste à engranger des profits. Il n’y a que dans la démocratie des liens et des clics que la culture et la connaissance se réduisent à la somme des informations. Même une quantité d’informations ne fait pas l’information ! Au fond, lorsqu’il s’agit de s’attaquer enfin au coeur du problème, à savoir la conception que les gens de Google ont de la démocratie, la philosophe en revient à son point de départ : la Grêce. Tout au long de son pamphlet, elle relève les parentés entre l’esprit Google et la sophistique. Puis elle les passe à la moulinette du mêtis (plan), du tekhnê (savoir-faire), du mêkhanê (machine de guerre), du kairos (instant propice), du kerdos (profit) avant de rappeler que la somme des singuliers ne constitue pas l’universel, que un plus plus un ne fait pas une communauté :

“Brutalement dit, Google est un champion de la démocratie culturelle, mais sans culture et sans démocratie. Car il n’est un maître ni en culture ni en démocratie. (…) On peut même dire que Google est anti-démocratique parce qu’il est profondément américain sans nous donner les moyens de le savoir, de remettre en cause son universalité, tel que américain aille de soi comme universel. Nous sommes aristotéliciens quand nous parlons, que nous le voulions et que nous le sachions ou non ; nous sommes américains quand nous googlons, que nous le voulions et le sachions ou non (…) Au lieu du politique, on trouve en Google la transcendance du déni de garanties, un philosophe-roi à ceci près qu’il n’est pas philosophe - le pire. Immanence du Web et transccendance de Google : Google, le nom actuel de la transcendance du Web ? Ou bien, plus sèchement : we, Google of America ?”

La semaine dernière, au moment où paraissait ce livre, on apprenait les résultats financiers de la société : le doublement de ses bénéfices (3 milliards de dollars) et une hausse de 72% de son chiffre d’affaires. Google représente actuellement 47% de la recherche en ligne aux Etats-Unis, et 70 % en Europe. Yahoo et les autres sont loin derrière.

sur le blog de Pierre Assouline dans le monde

3 Comments:

Anonymous Anonymous said...

C'est pareil pour d'autres "ogres" qui ont le monopole, comme Microsoft, Intel.

Imagine la pagaille que ça créée si ces deux là décident d'arrêter de faire du business du jour au lendemain !

11/2/07 5:47 PM  
Anonymous Anonymous said...

pas prêts d'arreter ce juteux business!

mm

11/2/07 8:36 PM  
Blogger Sami III said...

pour ma part, j'adore google, pour plusieurs raisons:
- ils sont innovants, déjà le systéme de "labels" dans leurs outils est un plus dont je ne peux plus m'en passer, et en plus la performance et l'estétique se maries parfaitement

- ils grouppent plusieurs services sous un meme chapeau et avec un meme accès sécurisé (email, documents, recherche, blogs...) d'ailleurs toi tu utilise blogspot (qui est de google) et j'imagine aussi que tu utilise gmail

15/2/07 9:45 AM  

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